Publié le jeudi 04 septembre 2008 à 09H46
Des prisonniers ont affronté les derniers vainqueurs du Mondial "La Marseillaise" à pétanque. Reportage...
Petit gars sec aux faux airs de Franck Ribery et au sourire mutin, Manu (1), la vingtaine, papillonne d'un visiteur à l'autre sur le terrain en gravier, chauffé par un soleil de plomb. "T'es qui, toi ? Et toi ? Tu t'appelles Hernandez ? Tu connais la famille Gimenez ?". Boules en main, Momo, son équipier, le coupe : "Viens, gari ! Ils prennent les inscriptions!". Manu réplique sèchement: "Laisse-moi ! J'en ai marre des gens d'ici. Eux, ils viennent du dehors. Ils sont frais".
Cet après-midi d'été, un tournoi de pétanque un peu particulier se joue au 213 chemin de Sormiou. L'adresse de la redoutée prison des Baumettes. Un lieu, où, dixit Tony, un client de longue date, "on ne s'amuse pas tous les jours". D'un côté, tous torses nus, une trentaine de détenus des bâtiments A, C et D. De l'autre, une douzaine de joueurs en liberté des clubs de Vitrolles et des Cadenaux, dont une triplette magique : Castano-Hoyaguimian-Hernandez.
Les vainqueurs du dernier mondial "La Marseillaise", venus "offrir un peu de distraction". À l'intérieur, sur un boulodrome improvisé, les deux groupes se sont d'abord faits face, intimidés. Avant de s'apprivoiser, doucement. Les rois des boules ont été briefés d'entrée par l'organisateur, Alain Trouillioud, revanchard président de l'association socio-culturelle des Baumettes : "On ne les laisse pas gagner, on les tord ! Une année, trois détenus m'ont mis Fanny ! ". Manu, lui, ne se fait guère d'illusions : "Pfff… On n'a aucune chance. Tout ce qu'on va tordre, c'est les barbelés…"
Mais à l'heure du coup d'envoi, problème : des boules manquent. Bolo, un détenu tatoué sur chaque partie du corps, rumine: "C'est mal organisé, ce truc". Alain Trouillioud, assailli par les mécontents, perd ses nerfs: "Si vous continuez, on rentre à la maison !". Ouf, les boules arrivent. Les parties commencent. Opposé dès le premier tour aux champions, Rachid, cheveux longs et phrasé taquin, lance les hostilités : "Vous êtes peut-être les gagnants du Mondial La Marseillaise, mais nous, on a gagné la mondialette des Baumettes !".
Les deux premiers points sont remportés par… Les Baumettes ! Rachid exulte : "J'avais promis à ma maman que je ne serais pas Fanny!". Défaite 13-2. Mais promesse tenue. À l'écart, un détenu éprouve le besoin de se confier : "Vous savez, ici, le plus dur, c'est l'ennui. Cet après-midi, elle passe vite. Et c'est comme du temps de gagné".
Un autre, surnommé "Le Parisien", débarqué à Marseille pour les vacances, échoué ici après une bagarre "contre un chti", discute avec un gardien. "Moi, je veux passer ma peine tranquille", dit l'un. "Tu sais, nous, si vous ne nous faîtes pas ch… il n'y a aucune raison que l'on vous fasse ch…", répond l'autre. Dans une ambiance apaisée, le concours touche à sa fin. Les cadors de la pétanque alignent carreau sur carreau.
"Manque juste le pastis", regrette Rachid. Jipé, la quarantaine, un mec posé, tire le bilan : "Peut-être que l'administration réalise enfin qu'en laissant les gens entre eux, sans contact extérieur, ils sortent comme des animaux. Ça explique aussi la récidive". Puis se tournant vers Laurence Pascot, directrice de la prison des hommes, il tente : "Si on gagne, on a droit à une réduction de peine ?". Elle sourit, sans répondre. Du style, faut pas pousser le bouchon.