Paroles...

Rédigé par Patrick LABORDE le Mercredi 7 Mai 2014 à 07:30

"Supplique d'un vétéran qui n'est plus à la fête"


Ô rage : ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
Serais-je donc tombé, déjà, mon bon ami,
Quasiment en décrépitude ?
Que même en ne buvant que de la menthe à l’eau,
Je ne peux plus jamais décrocher le gros lot,
Comme je faisais d’habitude.

Mon bras qui ne posait jadis que des arrêts
Ce bras que le pays tout entier admirait
Tant il était souple et nature,
Me ferait, nom de Dieu, malgré mon bon vouloir,
À certains jours manquer un bœuf dans un couloir
Et ça me met à la torture.


Ô cruels souvenirs de ma gloire passée,
Ça me fait mal au ventre rien que d’y penser
Quand je joue pour une rosette
Moi qui ai dominé tant de saisons durant,
Nationaux et grands prix, je rame en vétérans
Et je ne tiens plus l’anisette.

Quand je me fais sortir parfois en quatre mènes
Par des conscrits qui font trois frappes par semaine,
Je me dis, en cachant ma rage,
Il avait raison, Brel, « Mourir cela n’est rien,
Mais vieillir, ah ! vieillir… » non, ça, ce n’est pas rien,
Ça demande bien du courage.


Ah ! d’entendre parler de soi à l’imparfait
Par des plus jeunes, ça fait un drôle d’effet,
Car ça sent l’oraison funèbre,
C’est un enterrement par anticipation,
Ça me fait passer par d’horribles impressions
Et de la lumière aux ténèbres.

Et puis, réaliser que je suis désormais
Du club des « Tamalous », embarqués à jamais
Sur une galère en détresse,
Où ça ne tire plus, sinon « à la poussette »,
Ça me met le moral dans le fond des chaussettes
Et il arrive que je stresse.


Même si à soixante printemps révolus,
Je ne suis pas, bien sûr, carrément vermoulu,
J’avoue qu’il ne m’en faut plus guère,
Pour qu’un point dans le dos vienne m’ handicaper,
M’empêchant de lever le bras et de frapper,
Avec l’aisance de naguère.

Je ne peux plus monter une boule au bouchon
Et j’envoie quelquefois alors comme un cochon,
Perturbé par quelque douleur
En maudissant les ans qui me dictent leur loi.
Mais par bonheur ainsi que le bon saint Eloi,
Je monte encore les couleurs.


Soit, ça ne sert à rien pour gagner des parties
D’avoir sur ce plan-là toute sa répartie,
Mais de savoir sa bistouquette
Toujours très en forme et capable de marquer
Des points, moi, ça m’évite à coup sûr de craquer,
Ça fait du bien sous la casquette.

Ça me permet de mieux digérer les bobards
Des copains un peu chauds qui posent sur le bar
Des carreaux piles à la pelle
En parlant haut et fort, comme des Tartarin
Alors qu’ils sont plutôt discrets sur les terrains,
Où c’est eux qui prennent des pelles.


Ô rage : ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
Serais-je donc tombé, déjà, mon bon ami,
Quasiment en décrépitude ?
Ou bien suis-je à ce jour tout simplement rongé
En regardant mon jeu que l’on a saccagé
Par une grande lassitude ?

Et vous de mes exploits, glorieux instruments,
Vous qui m’avez fait vivre de si grands moments,
Vous, mes plus fidèles compagnes,
Vous mes boules chéries, je crois qu’un soir de rage
Je vais vous remiser au fond de mon garage,
Lui-même au fond de la campagne.


À moins que tout à coup, mais ce serait trop beau,
L’un de mes descendants reprenne le flambeau
Pour ne plus vous voir en souffrance,
Vous passeriez alors en de meilleures mains
Pour connaître à nouveau d’autres beaux lendemains
Partout sur les terrains de France.
Vous passeriez alors en de meilleures mains
Pour connaître à nouveau d’autres beaux lendemains
Partout sur les terrains de France.


JADIS, TOUS DES FOYOT ! (Supplique d'un vétéran qui n'est plus à la fête).mp3  (6.97 Mo)

Rédigé par Patrick LABORDE le Mercredi 7 Mai 2014 à 07:30 | Commentaires (0)